L’invité – Spore

Deuxième création, après Meeting, depuis sa formation en 1993 à Montpellier ; Les gens du quai est un groupe plus qu’une compagnie qui comprend aussi musiciens, comédiens, plasticiens, infographistes ; il a produit des stages, des ateliers ou des performances. L’invitéa été présenté à l’issue d’une résidence d’un mois à 3 bis f lieu d’art contemporain situé dans l’hôpital psychiatrique Montperrin à Aix en Provence qui, par ailleurs, accueille des plasticiens, troupes de théâtre, écrivains…

C’est une danse très physique qui permet les coupures, une exploration des temps morts, comme on dit en basket ball. Un sens de la dérision, et du comique doublé de grincements quelquefois pathétiques. Trois danseuses, Ghyslaine Gau, Anne Lopez, Karine Trélon, qui passent d’un mouvement décidé et massif à des mimiques en un clin d’oeil, d’un écroulement à un jeu machinique dans un même élan suivant une chorégraphie dont les règles sont sans cesse bouversées, se modifient continuellement pour semble-t-il entrer en contact, préparer l’arrivée, maintenir la possibilité mais aussi répondre aux conventions tacites de quelque chose ou de quelqu’un qui n’apparaît sur scène qu’en creux, indirectement. Quelquefois c’est la musique mélant bruits, effets percussifs, gouttes en chapelets ou cadences sourdes qui commande les mouvements : travail de collation des sons (frottements, crissements…) semble ainsi avoir précédé les gestes inventés pour leur correspondre, amenant ainsi à développer toute une dramaturgie des rapports à l’autre violents ou tendres, “joués” ou négligeant extrapolation des manières de contacts, d’évitements, de distances aux autres et aux images.

Au début de la pièce, alors que les deux autres sont assises, absorbées par les programmes d’un téléviseur posé au sol, et dont nous ne voyons que le halo bleuté qui les éclaire, la troisième danseuses embarrassée par l’un de ses bras étudie, teste, explore les possibilités d’un organe encombrant dont l’appartenance au corps et l’usage font problème. Plus loin, une neige chaotique de particules agitée en vidéo couvrira la scène. Le fond de cet aquarium lumineux, soutenu par les pulsations cardio–vasculaires de la bande son, sera parcouru par une cousine de Spiderman, le mur s’étant métamorphosé en sol par illusion d’optique. Ou bien est-ce l’inverse ? Quand cet organisme spatial s’arrête-sur-image les électrons s’immobilisent (c’est une image !) et les macromolécules formées par les corps frénétiques des danseuses prennent la pose à l’unisson dans des positions acrobatiques. Des jeux élaborés, des mimiques et des regards associés à la gestuelle, duel d’évaluation, d’intimidations réciproques, aussi bien parade animale ou pastiche de dessin animé ou encore les corps portés avec “maladresse”, les positions “en dépit du bon sens” permettent de tester le large registre des rencontres, façonnent les contours d’une étrange animalerie, et n’arrangent pas les relations entre les protagonistes. Les intentions de chacune sont rarement concordantes, les danseuses parcourent un large spectre de possibilités, de configurations qui combinent diverses manifestations de l’image : image narcissique, image publique, image spectaculaire. Ou image qui échappe comme ce moment étiré et hallucinatoire qui voit les trois danseuses côte à côte sur la même ligne, regard dans le vague, se poser là, piétiner nonchalamment… attendre comme à la caisse du supermarché ou à l’arrêt de bus dans la quasi-inconscience de leur corps. Une autopsie de l’image et de ses répercussions sur les agissements contemporains est ainsi pratiquée en un peu plus d’une heure, une opération douloureuse pour une patiente qui pourtant n’a jamais été autre chose que de la mort en boîte : la grossière image du marketting libéral.
L’accès à cette image (le fond de l’image ?) ne s’effectue qu’indirectement et pour le spectateur de la pièce et pour quiconque soumis à l’influence de l’image des marques commerciales. C’est à travers les comportements des danseuses que le spectateur décèle le vrai moteur de la pièce et en même temps le mystère d’une prégnance des images sur les motivations, levier invisible et d’autant plus intrigant. Si ce moteur pouvait être circonscrit par une figure homogène, la pièce se cantonnerait à un répertoire classique, à des personnaghes monolithiques à des rapports simplistes. L’invité n’est pas un référent absolu : une ombre, un groupe, un sur-moi, rien, un animal, une icône, une personne, une comparse, un danger, un inconnu, quelqu’un, un absent, une fiction ? pas une identitée stabilisée (formatée ? comme le dit le texte de présentation) en tout cas. Une entité multiforme, mobile, hétérogène, si l’on suit ce qui se déroule sur scène, tous ces micro-mondes portés par le corps des danseuses et souvent plusieurs silmultanément, ce qui nous réconcilie avec le langage lorsqu’il n’est pas en léthargie monosémique.
Pour cela, la pièce passe d’un questionnement au premier abord sur l’image à une exploration de la tactilité. Et là, le champ et les objets qu’il contient sont aussi protéiformes que les matières évoquées par les sons et les gestes, que les possibilités de contacts, de tacts, de rencontres que les rapports avec les images qui, avant d’être spéculaires, tissent avec le regard des relations de l’ordre de la tactilité.
Dans le monde de la tactilité, les tautologies ou binarités auxquelles invite une pensée chevillée à l’image n’ont pas cours. C’est l’espace d’une inquiétude non refoulée qui met de l’aise1 qui en fabrique même. Un sourire ou une incrédulité, un affolement ou de la “danse”, un habit problématique ou un bras désolidarisé, un combat caricaturé ou un départ de 100 mètres au ralenti sur la fonction RETURN… la tactilité possède des variétés insoupçonnées. Et entrevoir un bout de ce continent n’est pas le moindre des plaisirs de ce spectacle et ce d’autant plus que la présentation insiste sur le rapport à l’image omniprésente ce qui pouvait laisser présager quelque chose de ronflant et imagé (Saporta ou Découfflé).
Ou bien est-ce un corps ? Celui des danseuses, mais lequel ? Celui qui résiste à l’identification peut-être, émancipé du pouvoir raréfiant de l’image que l’on a trop facilement réduit à une stéréotypie iconique pour podium à top models. Qui y a-t-il à gauche et à droite de la ligne du podium ? Sûrement pas des invités !
Giorgio Agamben pose cette question : “Comment penser désormais une communauté formée par des singularités quelconques, c’est à dire parfaitement déterminées, mais sans que jamais un concept ou une propriété puisse leur servir d’identité ?”Formulation très proche du champ dégagé par cette invention en mouvement.

Noël Ravaud, Spore, juin 99
3 Giorgio Agamben, op.cit. fonction RETURN… la tactilité possède des variétés insoupçonnées. Et entrevoir un bout de ce continent n’est pas le moindre des plaisirs de ce spectacle et ce d’autant plus que la présentation insiste sur le rapport à l’image omniprésente ce qui pouvait laisser présager quelque chose de ronflant et imagé (Saporta ou Découfflé).
Ou bien est-ce un corps ? Celui des danseuses, mais lequel ? Celui qui résiste à l’identification peut-être, émancipé du pouvoir raréfiant de l’image que l’on a trop facilement réduit à une stéréotypie iconique pour podium à top models. Qui y a-t-il à gauche et à droite de la ligne du podium ? Sûrement pas des invités !
Giorgio Agamben pose cette question : “Comment penser désormais une communauté formée par des singularités quelconques, c’est à dire parfaitement déterminées, mais sans que jamais un concept ou une propriété puisse leur servir d’identité ?”Formulation très proche du champ dégagé par cette invention en mouvement.

Noël Ravaud, Spore, juin 99

Written by: Camille